La danse des abeilles

Bien tendues les pointes et les dos bien droits ! Allez on reprend l’enchaînement. Et un ! deux ! trois ! quatre ! Et un ! deux ! trois ! quatre ! Dans le rythme tout le monde !

 

Oh bonjour Gulliver, je ne t’avais pas vu arriver, toute absorbée que j’étais par mon cours de danse. Tu es là pour apprendre à danser ? Je veux bien te donner un petit cours théorique, mais grand comme tu es, je doute que tu arrives à reproduire nos enchaînements !

 

 

 

Tu le sais peut être déjà, certaines espèces d’abeilles, comme nous, sont des insectes sociaux. Nous vivons en groupe, avec une seule femelle qui pond des œufs, la reine, et qui est notre mère à tous ici, dans la ruche. Les œufs sont mis à couver dans ce qu’on appelle des cellules. Suivant la taille et la forme des cellules, les œufs pourront donner des larves mâles, futurs princes, des larves royales, futures princesses, et des larves ouvrières. Les princes ne sont utiles qu’à la reproduction et meurent tout de suite après. Les princesses iront fonder de nouvelles colonies et en deviendront les reines. Quant à nous, ouvrières, nous effectuons toutes les tâches qui permettent à la colonie de survivre.

 

A la naissance, nous aidons la reine et le couvain au sein de la ruche. Nous sommes les nettoyeuses et les nourrices. Puis en vieillissant, nous devenons bâtisseuses pour entretenir la ruche, magasinières, pour stoker et conserver la nourriture rapportée à la ruche, et ventileuses pour l’aérer. Et quand nous sommes assez expérimentées pour nous aventurer dehors, nous pouvons effectuer les tâches d’extérieur comme le job de gardienne, qui vérifie que chaque abeille qui rentre appartient bien à la colonie, et surtout le travail de butineuse. Les butineuses, comme moi, sont les seules abeilles sociales que vous pourrez rencontrer car ce sont elles qui vont chercher la nourriture et l’eau à l’extérieur. Elles les redistribuent ensuite par trophallaxie, c’est à dire en régurgitant dans la bouche des autres ouvrières. Bon je sais que pour vous, humains, ça peut paraître un peu dégoûtant, mais c’est la façon la plus simple et efficace que nous ayons trouvé.

 

Pour en venir à la danse, c’est notre façon à nous de dire « Hé venez voir, j’ai trouvé une fleur délicieuse et faudrait m’aider à en extraire le pollen ! ». Les fleurs n’ont pas d’adresse comme vos maisons, et nous n’avons pas non plus de quoi dessiner un plan. Alors pour se faire comprendre, on danse !

 

Pour faire simple, il y a trois types de danses : la danse en rond, la danse en faucille, et la danse frétillante (ou danse en huit). La danse en rond est la plus simple. On décrit un cercle, puis on fait demi-tour et on reprend le chemin à l’envers, et ça autant de fois que nécessaire pour avoir l’attention des autres butineuses. Et comme cette danse ne sert qu’à indiquer des sources proches de nourriture (à moins de 10m), il suffit à la danseuse de retourner ensuite sur sa fleur et d’y déposer des phéromones (une substance odorante) pour indiquer l’endroit aux autres butineuses. Dernière chose : plus on fait les ronds rapidement, plus la nourriture est intéressante. La danse en faucille est utilisée pour des distances de nourriture comprises entre 10 et 100m. L’angle de la faucille indique la direction de la source.

 

 

La danse frétillante est la plus complexe des danses. La butineuse effectue un trajet rectiligne, puis fait un tour dans un sens, reprend son trajet rectiligne, fait un tour dans l’autre sens, et ainsi de suite en décrivant ce qui ressemble à un « 8 ». Comme la nourriture est loin, au moins 100m et jusqu’à plusieurs kilomètres, cette danse doit donner beaucoup plus de renseignements sur l’endroit de la source. Pour la direction, nous utilisons comme point de repère le soleil. Dans la ruche, la danseuse danse à la verticale. L’angle entre l’axe de la verticale et son trajet rectiligne correspond à l’angle entre le soleil et la source de nourriture. Et nous ne nous laissons pas avoir par le mauvais temps ! Grâce à une vision spéciale, nous sommes capables de voir la lumière polarisée et de détecter le soleil même s’il est caché derrière les nuages. Dernière chose, tout le monde sait que le soleil n'est pas fixe dans la journée. Et bien nous prenons en compte la course du soleil dans nos calculs, et nous sommes capables de retrouver un endroit à toutes les heures de la journée !

 

 

La distance est également une information cruciale pour des sources de nourriture éloignées. Nous l’indiquons grâce à la vitesse à laquelle nous effectuons la danse. Plus la nourriture est loin, plus le nombre de tours par minute est petit, autrement dit, plus la vitesse est lente. De plus, pendant le trajet rectiligne, nous faisons vibrer notre abdomen et plus la distance est grande, plus les vibrations sont rapides. Et tout ça en rythme bien sur ! Enfin, pour indiquer la qualité et la nature de la source de nourriture, nous dansons plus ou moins longtemps et nous échangeons quelques échantillons du pollen ou nectar ramené par trophallaxie.

 

Si tu les regardes sans connaître leur signification, ces « danses » t’apparaîtront comme une sorte d’effervescence collective. C’est normal car comme il fait noir dans la ruche, les ouvrières sont obligées de toucher la danseuse avec leurs antennes et de la suivre dans ses mouvements pour en retirer les informations. Mais après avoir lu ce mode d’emploi de la danse des abeilles, j’espère que tu arriveras à percevoir à quel point notre société est évoluée.

 

 Lien externe sur la danse des abeilles