Mante religieuse : l'ultime perfection 

 

NDLR : exceptionnellement, ce n’est pas le lilliputien concerné qui décrira sa vie ou une anecdote le concernant. Nous avons ici interviewé une mouche. Les propos sont donc à prendre avec relativité du fait que cette dernière est une proie naturelle de la mante, et ne l’apprécie donc pas forcement…

 

Bonjour ô géant suprême, Dieu des Dieux, vénéré dans le monde drosophile… Comment ça je suis pas obligée d’en faire des tonnes ? Pas envie qu’il m’écrase moi ! Déjà qu’on m’oblige à parler de mam’zelle religiosa

 

La petite dame n’est pas toujours très commode, surtout quand elle est affamée… Ne vous fiez pas à son vrai nom, la mante religieuse (Mantis religiosa) est loin de porter une auréole sur sa tête ! Mais il faut avouer que, question efficacité, elle est redoutable. En fait, son nom vient surtout de l’allure qu’elle se donne quand elle est à l’affût, avec ses deux pattes avant repliées, comme si elle faisait une prière. On l’appelle d’ailleurs couramment « prie-dieu » dans certaines régions. Parlons-en de ses pattes avant. Elles ne ressemblent pas franchement à celles du commun des insectes. Bon, vous vous imaginez les pattes avant d’une mouche ? Presque identiques aux quatre autres, elles servent… à marcher ! Six pattes pour se tenir à plat et pour avancer, banal quoi ! La mante, elle, n’aime pas la banalité. Ses pattes avant, elle peut les utiliser pour marcher, mais elles ne sont pas indispensables à son déplacement. D’ailleurs, si ses quatre pattes arrières sont toutes fines, les deux pattes avant sont des armes redoutables. Si ce n’était pas un insecte, je dirais qu’elle a des biceps et triceps fort développés, tant dans la forme que dans leur force ! Et puis, elles sont parsemées d’épines. Efficaces pour… me capturer par exemple ! On les appelle « pattes ravisseuses », car en plus d’avoir une morphologie terrifiante, elles sont capables de se déplier et se replier à une vitesse exceptionnelle ! Elle rate hélas trop peu de fois ses proies… Et puis en parlant de proies, elle n’attrape pas que des mouches, mais peut aussi dévorer des criquets, sauterelles et même des papillons !

 

Et comme elle aime faire dans le sinistre, elle ne mange que des proies qu’elle a attrapé vivantes, commence par leur croquer la tête avec ses puissantes mandibules, et continue avec le reste du corps en laissant tomber les parties trop dures…

 

 Dans la série « je ne fais rien comme les autres », une autre particularité exceptionnelle dans le monde des insectes est la capacité de la mante à pivoter la tête… ce qui lui permet de suivre sa proie des yeux sans bouger le reste du corps. Et vous avez vu la taille de ses yeux ? Elle ne risque pas de nous rater avec son excellente vision en relief… Elle a sur la tête des « yeux » d’une autre sorte : des sensilles qui lui permettent de détecter les vibrations d’un insecte en vol. Pour en terminer avec son armement et passer à des choses plus poétiques, sachez qu’elle est aussi dotée d’ailes et donc capable de voler.

 

Et si nous parlions un peu d’amour ? C’est dans ce domaine que la chasseresse est la plus connue. Elle a la lugubre réputation de manger monsieur pendant ses ébats… D’ailleurs, quand on regarde un « couple » de mantes, on a du mal à croire que les deux partenaires ont le même âge, tant le mâle paraît fluet et minuscule à côté de madame. C’est peut-être ce qui lui donne la permission de dominer son mari.

 

Et fait, les mantes s’attaquent à tout ce qui bouge. Il n’existe pas de couple en dehors de la reproduction, et si deux individus se rencontrent quand même, l’un tentera sans doute de dévorer l’autre. Pourtant, il faut bien assurer la descendance. La femelle accepte donc la venue de monsieur le temps nécessaire pour qu’il lui transmette ses spermatozoïdes. Mais sa réputation a une grande part de réel, et le mâle finit souvent en casse-croûte avant la fin de leur étreinte. Pourquoi l'évolution n'a-t-elle pas sélectionné les mâles qui parviennent à s'échapper ? Sachez d'abbord que le sinistre destin des mâles n'est pas systématiques. Ils choisissent d'ailleurs des femelles rassasiées si possible, pour éviter de finir en casse-croûte ! Le canibalisme nuptiale aurait cependant un avantage pour la descendance du mâle : il apporterait à la femelle des forces supplémentaires pour pondre son oothèque (une coque qui contient les œufs). Et puis croquer la tête du mâle ne l’empêche pas de continuer la copulation si celle-ci n’est pas achevée : la morphologie de la mante permet, grâce à des ganglions (des sortes de mini-cerveaux) situés dans le corps, de continuer l’activité reproductrice même quand la tête a disparue. De toute façon, ça fait toujours un prédateur de moins, et le mâle serait mort quand même avant la fin de l’hiver…

 

Je ne vous ai pas encore trop effrayé ? J’arrête là la description de cette chasseresse impitoyable. Une dernière chose : malgré toutes les horreurs que je viens de vous citer, la mante n’a pas forcement mauvaise réputation. Dans certaines cultures africaines, elle est sacrée et symbolise la procréation. Si une mante entre dans un foyer, une des femmes de la maison est enceinte ! Dans des pays asiatiques, elle est aussi admirée pour sa force (vous visualisez l'acolyte de Kung-fu Panda ?), et surtout sa capacité à protéger les cultures des insectes nuisibles. Totalement inoffensive pour les humains, elle devient même leur alliée ! Comme quoi mam’zelle religiosa n’est pas l’ennemi de tous.